Simplication

des procédures, des formulaires, des objets et des concepts

"faire bref"

Rédigé par dir 2 commentaires

"Affalez la grand- voile" ordonne le capitaine avant la tempête. La brièveté caractérise les métiers à risque ; d'autres usages moins impérieux restent ici à découvrir. Un petit tour dans le dictionnaire nous apprend à distinguer bref et concis, à nommer apocope un mot tronqué et à repérer le rare synonyme compendieux.



L'écrit s'illustre par la beauté du bref : haiku, chute d'une nouvelle, ellipse, morale d'une fable, proverbe. Les réseaux transportent le morse, le smiley, le sigle ou le langage sms.

Nos autres communications utilisent le silence (ce dont on ne peut parler doit se taire), l'onomatopée, l'holophrase (bof sert à dénigrer, allo se met à l'écoute), le slogan. Nos attitudes cultivent la mimique, le geste évocateur (moue, yeux au ciel, doigt d'honneur). Dans le management, le bref pourrait atténuer les dissensions.

Les formes épurées des dessins (par exemple, les taureaux de Picasso), les logos et les aplats de couleur parlent directement à nos émotions.

Le romancier ne peut pas faire bref quoiqu'un humoriste ait proposé les courtes mémoires d'un éjaculateur précoce. La politique adopte une position ambiguë en proposant référendum ou 49.3 tout en se perdant en verbiage ou logorrhée.

La brièveté est un jaillissement. Notre cerveau est tout particulièrement configuré au bref ; ainsi il traite l'image des milliers de fois plus vite que le texte. Avec peu, on transporte beaucoup et la bande passante est moins encombrée.
Le bref est dans l'immédiat. C'est en cela que le bref s'éloigne du processus de simplification. Certes, faire bref réclame des pré-requis, une entente préalable sur le code, le cadre d'exercice. On affale pas la grand-voile sans s'y être préparé.

Faire bref possède les avantages et les inconvénients de toute communication ; plus spécifiquement, faire bref se risque à l'autorité voire à la brutalité. Ses vertus sont nombreuses : l'économie de temps et d'espace pour tous, l'impulsion et la mémorisation. Dans la Grèce antique, les disciples d'Hippocrate se rappelaient ses préceptes en récitant des aphorismes ; aux Antilles, "bèf douvan bwè dlo klè" (le bœuf de devant boit de l'eau claire) .

Il était bon de démontrer que le bref n'est pas sans subtilité ; Tchekhov disait même que "la brièveté est sœur du talent".
Na !

2 commentaires

#1  - patrick a dit :

« La brièveté, loin d’être simplement une réduction du discours, est un art, une forme de sagesse.
Dans l’usage du langage, l’économie des mots révèle une profondeur que l’abondance masque souvent.

D’emblée, il semble paradoxal de vouloir en dire plus en disant moins. Pourtant, c’est précisément dans cette tension que se trouve toute la force de la brièveté.
Dire l’essentiel sans s’encombrer du superflu, toucher directement l’esprit sans détour inutile, tel est le défi du mot bref, un défi qui traverse les époques et les cultures.

Le capitaine qui ordonne « Affalez la grand-voile » ne se contente pas de donner un ordre technique. Il concentre en ces quelques mots toute la complexité de la situation : l’imminence de la tempête, l’urgence de l’action, l’expérience partagée de son équipage.
Rien ne manque, tout est là.

C’est l’une des premières vertus de la brièveté : elle exige la clarté et l’efficacité, car elle s’appuie sur une intelligence commune du contexte, un code partagé. Mais cette concision va bien au-delà des métiers à risque.
La brièveté, en effet, reflète une forme d’humilité intellectuelle. Elle reconnaît que tout ne peut être dit, que le langage, malgré ses richesses, a ses limites. Dire peu, c’est admettre que la parole, tout en étant un outil puissant, n’est pas toujours le moyen le plus juste pour exprimer la totalité de l’expérience humaine.

C’est en cela que le silence devient lui-même une forme de communication, car ce qui n’est pas dit est parfois plus éloquent que ce qui l’est.
Cette idée rejoint la pensée de Wittgenstein, qui affirme que « ce dont on ne peut parler, il faut le taire ».
Le silence, comme la brièveté, laisse place à l’indicible, à ce qui échappe aux mots.

Dans l’histoire de la philosophie, la brièveté a été prisée comme une forme de sagesse.
Les aphorismes de la Grèce antique, par exemple, concentrent des siècles de pensée en quelques phrases. Ils sont de petites éclairs de vérité qui se suffisent à eux-mêmes, comme des îlots de certitude dans un océan d’incertitudes.
La brièveté a ce pouvoir de se rendre inaltérable, de se transmettre à travers les âges sans perdre sa pertinence.
C’est dans cette concision que réside la force de l’aphorisme, de l’adage, du proverbe. Ils se distinguent des longs discours philosophiques par leur immédiateté et leur capacité à rester gravés dans la mémoire collective.
Cependant, être bref n’est pas synonyme de simplisme. Cela demande une maîtrise rare du langage.

Dans L’Art d’écrire, Nietzsche évoque cette idée en disant que la brièveté est l’une des plus grandes qualités de l’écriture, mais qu’elle nécessite une richesse intérieure, une discipline intellectuelle. Il faut comprendre pleinement ce que l’on veut dire pour pouvoir le condenser en une phrase.
La densité des mots reflète la profondeur de la pensée. La brièveté est le résultat d’un processus de distillation intellectuelle, où seul l’essentiel est conservé.

D’un point de vue existentiel, la brièveté reflète aussi notre rapport au temps.
Notre vie est elle-même brève, limitée par l’inéluctabilité de la mort.
Le philosophe stoïcien Marc Aurèle insistait sur l’importance de l’économie de temps dans la conduite de notre vie.
Tout ce qui est superflu, disait-il, détourne l’homme de son devoir essentiel.
La brièveté, en ce sens, est un écho de cette réflexion : elle rappelle que l’existence ne laisse pas de place au gaspillage, qu’il est de notre responsabilité de vivre et de dire ce qui compte, et seulement ce qui compte.
Il est donc possible de voir dans la brièveté une forme d’éthique.

En politique, en art, en philosophie, elle est un appel à la sincérité, à la clarté, à la vérité. Dans un monde où le verbiage, la confusion et la complexité sont trop souvent utilisés pour masquer des intentions floues ou dissimuler la faiblesse d’une idée, la brièveté tranche comme un acte de courage intellectuel.
Elle impose de la transparence et de l’honnêteté.
Dire peu, c’est dire vrai.
La brièveté nous pousse aussi à reconnaître la valeur de l’autre, car elle repose sur une économie du langage qui engage la participation active de celui qui écoute ou qui lit.
En ne disant pas tout, on laisse une place à l’interprétation, à la réflexion, à l’imagination.
C’est en cela que la brièveté est généreuse.
Elle nous invite à compléter ce qui n’est pas dit, à participer activement à la compréhension du message.

Ainsi, la brièveté n’est pas simplement une forme de communication ; elle est un art, une sagesse et une éthique.
Elle nous rappelle que le temps, les mots et l’attention des autres sont précieux.

En peu, on peut dire beaucoup. C’est toute la force du bref : il est à la fois limité et infini, humble et puissant. »

Répondre
#2  - Thierry a dit :

Le bref prévaut. Un mot, et tout est dit.
Dans l'action, l'ordre surgit sans explications.
En politique, des discours obscurcissent l'évidence : un simple 'oui' ou 'non' suffirait.
Picasso dessine une ligne, l'essentiel.
Le court impacte. Le reste ?...
(Si vous répondez, il faudra expliquer. Alors, pourquoi dire plus ?)

Répondre

Écrire un commentaire

Capcha
Entrez le code de l'image

Fil RSS des commentaires de cet article